Le Clou

 Nouvelle

              Ils étaient soigneusement rangés dans des boîtes en carton – les têtes d’un côté, les pointes de l’autre. Mon petit chien Masik avait déjà approprié pris une bonne moitié de ces boîtes: les emportant dans une clairière il les avait déchirées et jouait maintenant avec leurs jolis morceaux. Les clous jonchaient la terre et brillaient au soleil. Sur l’étagère, à côté des boîtes restées intactes après les razzias de Masik, il y avait une soucoupe d’un vieux service à thé. Les clous de différentes dimensions s’y entassaient en vrac faisant penser à un hérisson métallique. C’est vers ceux-là que ma main préféra se tendre. Puisque quand ils sont dans la boîte, pour en sortir un il faut pouvoir l’attrapper, le retirer d’un paquet compact. Tandis qu’il est si facile, sans toucher aux autres, d’en retirer un de la soucoupe. En plus, ceux-ci, à la différence des neufs, sont galvanisés et ne sentent pas la graisse de l’estampage: quand on est en train d’effectuer une manipilation importante il vaut mieux ne pas être dérangé par ce «parfum» infect!

              Avec mon pouce et mon index, en faisant très attention, j’ai étreint le cylindre le plus brillant, l’ai tiré vers moi. Les autres n’ont même pas bougé! Le clou droit, de la bonne dimention reposait dans ma main; la peau en ressentait l’agréable fraîcheur. Impatient, je l’ai retourné entre mes doigts. Un petit morfil resté sous sa tête a légèrement égratigné mon doigt. Une goutte écarlate est apparue sur le métal, comme éclairée par dessous. Elle brillait voulant m’avertir de quelque chose. J’en ai eu un pressentiment bizarre, presque mystique. Avec appréhension j’ai touché le bout pointu…

              Mon objectif était tout ce qu’il y a de plus simple: accrocher une applique. J’ai pris les dimentions du mur entre deux portes. C’était là, juste au milieu, au-dessus d’une prise! Grimpé sur une chaise, j’ai commencé à planter mon beau clou. Il rentrait dans le plâtre comme dans du beurre; les coups du marteau sur sa tête nervurée retentissaient dans l’épaisseur du mur…

              J’ai repris connaissance, couché par terre. Masik me lèche le visage. La chaise traîne à côté renversée, le marteau est je ne sais pas où. Il fait sombre. Plus de courant. Dans l’air flotte l’odeur du câble cramé et de je ne sais de quelle cochonnerie encore. Et le clou… Lui, il est bien planté dans le mur! On le voit même sans lumière. Comme l’aurore boréale, il brille de toutes les couleurs qui se succèdent – rouge, orange, bleu…

              Ca, je le connais! C’est l’interférence de la lumière blanche dans la pellicule formée sur le métal en oxidation: quand cette pellicule chauffe et devient de plus en plus épaisse, la couleur blanche perd une à une ses composantes – d’abord le bleu-violet, ensuite le vert…